Compte-rendu du procès des Déboulonneurs parisiens du 12 mars

20/03/2010 10:05

 

Au début de l’audience, le tribunal examine le cas des comparants volontaires. En effet, sur les huit barbouilleurs, seuls deux étaient initialement poursuivis pour avoir taggué « Stop à la propagande marchande » sur des panneaux publicitaires. 

 

William Bourdon (avocat des Déboulonneurs) : le collectif des Déboulonneurs est un mouvement de désobéissance civile. Ces six personnes veulent comparaître volontairement, c’est un message au tribunal : on ne doit pas faire de tri entre les auteurs des faits. Ils sont unis dans l’action et l’intention ; le tri de la police apparaît donc pour le moins mystérieux. Pour une fois que des gens sont « heureux » de comparaître devant le tribunal ...

 

La procureure ne fait aucune observation et le tribunal accepte les comparants volontaires, dont beaucoup sont en état de récidive légale.

 

Le juge : qui est le chef ?

 

Le collectif : il n’y a pas de chef ; nous sommes un collectif.

 

Le juge : comment vous vous retrouvez ?

 

Le collectif : nous nous réunissons et décidons du lieu de la prochaine action une dizaine de jours avant. On en a fait tellement que nous ne nous souvenons plus qui était présent à la réunion pour l’action incriminée (qui date de janvier 2008 ; donc la réunion a eu lieu fin 2007).

 

Le juge : comment sont choisis les lieux et les panneaux ?

 

Le collectif : nous choisissons des lieux où il y a plusieurs panneaux parce que nous ne nous attaquons pas à une publicité en particulier, mais au système. Comme les actions ont lieu en public, il faut de la place pour que les gens soient en sécurité. Là, c’étaient des panneaux à défilement électrique sur une palissade de travaux sur les Champs-Elysées.

 

Le juge : vous peignez la vitre du panneau ou l’affiche ?

 

Le collectif : par défaut c’est le vitrage.

 

Le juge : quel type de peinture utilisez-vous ?

 

Le collectif : des bombes de peinture classiques. On constate que les panneaux sont indemnes dans les heures suivantes.

 

La procureure n’a pas de question et le juge demande leurs « états de service » aux activistes. Chacun-e a participé à de nombreuses actions.

 

Le juge : qui est prévenu des actions ?

 

Le collectif : le presse, une semaine avant.

 

Le juge : vous avez un site internet ?

 

Le collectif : pas directement ; nous avons un site de soutien au collectif.

 

Le juge demande ensuite aux huit personnes incriminées d’expliquer le motif de leurs actions.

 

Le collectif : l’espace public est un bien commun où la publicité s’impose. Elle est une agression psychologique permanente. Il y a un proverbe qui dit « quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » ; je ne veux pas que le tribunal voit la bombe de peinture au lieu de l’état du paysage. [Un des prévenus sort alors une affiche de sa poche, la déplie et la dépose devant le tribunal] On ne demande pas à un pompier pourquoi il éteint les incendies ; pourquoi demande-t-on à un barbouilleur le but de son action ? Nous ne refusons pas la publicité, mais nous voulons limiter ses dimensions à 50X70, taille de l’affichage associatif. Un de nos principaux objectifs est de mettre en évidence le droit de non-réception. Les négociations, les compromis n’ont abouti à rien ; notre rôle est de pousser l’agenda politique et de provoquer un débat public par la voie démocratique. Le barbouillage est un acte purement politique et symbolique. La question des paysages n’a pas été traitée dans le Grenelle ; du coup le ministère a mis en place un machin de rattrapage : le Conseil national du paysage. La moitié des panneaux en France sont illégaux et les afficheurs le reconnaissent eux-mêmes ; mais comme personne ne fait la police de l’affichage, ils continuent à faire du chiffre d’affaires.

 

Le juge : les panneaux choisis sont illégaux ?

 

Le collectif : non ; les critères de choix sont l’emplacement et l’accessibilité.

 

Le juge : épargnez-vous certaines publicités comme Amnesty international par exemple ?

 

Le collectif : non. Nous combattons le procédé et pas le produit, qu’il soit une action humanitaire ou un baril de lessive.

 

Le juge : vous apposez votre message sur les panneaux ; c’est un peu contradictoire ...

 

Le collectif : comme on est vite interpellés, on n’a pas le temps de faire de belles choses. Notre action est une légitime réponse symbolique, infime par rapport au nombre de panneaux. La publicité est une industrie totalitaire qui peut couvrir le pays d’un seul message en une seule nuit.

 

Puisque ni le procureur ni l’avocat n’ont de question, le défilé des témoins commence.

 

Jacques Muller (sénateur Vert) : la question sous-jacente est gravissime. C’est un problème de société, de valeurs véhiculées, transmises : une menace par rapport aux enfants (avec les aspects environnementaux : arbres abattus, énergie, coûts pour le contribuable). L’article 19-1 de la convention des Droits de l’enfant impose de les protéger. Or les affiches véhiculent une certaine image de la femme ainsi que des injonctions surprenantes et dangereuses, notamment sur l’équilibre alimentaire.

 

Le juge : ils disent que leur action ne porte pas sur le contenu des panneaux, mais leur présence même ; ce n’est pas ce que vous dites.

 

Jacques Muller : on n’a pas le choix. Quand on vient de son village, on subit un choc en arrivant à Paris (notamment dans le métro).

 

Le juge : que pouvez-vous dire en tant que législateur ?

 

Jacques Muller : j’ai suivi la loi Genelle 2. Voici le contexte : la publicité est régie par des lois obsolètes (1979, Barnier 1995). Il y avait eu des déclarations encourageantes de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Chantal Jouanno. Le Conseil national du paysage est lancé en novembre 2008 ; sa dernière réunion a lieu le 24 mars 2009 et un rapport, réalisé par le sénateur Ambroise Dupont (UMP), est remis le 17 juin 2009 à Chantal Jouanno. Il y a, des déclarations ministérielles au rapport final, des reculades impressionnantes. Dupont était opposé à ce que les préfets soient dessaisis, mais il a dû reculer. C’était la demande la plus forte des afficheurs et ils ont été exaucés. Les zones de tranquillité de cent mètres aux abords des écoles sont laissées à l’appréciation des maires ; c’est une autre reculade car ceux-ci ne peuvent pas dire non pour des impératifs budgétaires. De plus, la publicité peut rester aux carrefours et dans les zones commerciales.

 

J’ai du respect et de l’admiration pour ces citoyens qui ne baissent pas les bras alors que les parlementaires étaient tentés de le faire.

 

Claude Got (médecin, spécialiste en accidentologie, tabac et alcool) : la publicité est une arme de destruction massive. Il y a deux dangers dans la société : la finance et la publicité. En effet, celle-ci n’est que mensonge et détruit le débat public. Seuls deux textes ont fonctionné dans ce domaine : l’interdiction de la pub pour alcool et tabac et de la publicité politique. Les publicitaires ont des réactions de contournement et essaient d’obtenir des dérogations pour l’alcool et le tabac. Pour la politique, il s’agit de mettre les débats de société à l’abri des publicitaires. Historiquement a été interdit ce qui s’impose aux enfants : « ne remplacez pas les éducateurs par des publicitaires ». La loi actuelle sur Internet punit les échanges culturels mais autorise la pub sur l’alcool, c’est un recul par rapport à la loi Evin. Autre exemple : un accord a été signé entre le ministre des transports et les constructeurs automobiles pour ne pas valoriser la vitesse. Mais on a pu voir cette pub : « je n’exploiterai pas toutes les possibilités de ma voiture, levez le pied droit et dites je le jure ».

 

Le juge : quels sont les domaines où la publicité est dangereuse ?

 

Claude Got : la publicité est nocive parce que fondée sur la séduction tarifée. Elle pousse à la consommation, au surendettement. Edward Bernays, neveu de Freud, a été un des fondateurs du marketing. Son rôle a été de détourner la libido vers l’acte d’achat. Hannah Arendt a mis en évidence que lorsque l’on manipule les faits, la violence, une société est perdue. Les publicitaires sont des menteurs qui voudraient qu’on les admire.

 

On a réussi sa vie quand, à soixante-dix ans, on a une montre à cinq euros qui donne l’heure !

 

Le juge : est-ce que la taille des panneaux a une incidence sur les risques ?

 

Claude Got : vous avez remarqué la taille des inscriptions du type « ne grignotez pas entre les repas », sous les produits qu’il ne faudrait pas manger ? C’est tout petit, en bas de l’affiche ; donc souvent caché par les bancs dans le métro. C’est un message contradictoire et ridicule parce qu’il s’agit de deux domaines différents : la séduction pour la pub et la rationalité pour les messages d’avertissement.

 

Les constructeurs automobiles faisaient valoir que dépasser était moins dangereux quand on avait une réserve de puissance. L’accidentologie a montré que c’était faux. On devrait avoir une qualification équivalente à celle de la diffamation pour les informations fausses. La pub est une négation de la réalité et il n’y a pas de loi contre cela actuellement.

 

William Bourdon : quel regard portez-vous sur ces gens et cette désobéissance civile ?

 

Claude Got : ils sont l’honneur de la société. La tribunal l’a compris : nous sommes dans une impasse politique.

 

Hervé Kempf (journaliste et écrivain, spécialiste des questions écologiques) : pour la première fois l’humanité arrive à la limite de ses ressources. Il y a une pollution généralisée et nous vivons actuellement la sixième extinction d’espèces. Nous devons donc réduire nos prélèvements et nos rejets, ce qui implique de réduire notre consommation. Or la publicité, propagande pour consommer, est omniprésente. Dans une minute de télévision, il y a plus de pub que de programme. Les gens regardent la télévision 3h20 par jour (dont plus d’une heure de pub) ; c’est donc un véritable conditionnement, surtout pour les plus jeunes depuis vingt ans. Les Déboulonneurs veulent limiter la taille des affiches sur la voie publique à 50X70 ; ils ne sont donc pas contre la pub mais contre l’envahissement.

 

Le juge : vous faites une distinction entre réception active et passive ?

 

Hervé Kempf : oui. Les Déboulonneurs sont très modérés, parce que la pub à la télévision est bien plus pernicieuse que l’affichage.

 

Le juge : mais la publicité est autorisée par des élus qui ne sont que les représentants de leurs électeurs.

 

Hervé Kempf : la démocratie ne fonctionne plus tout à fait bien. Les institutions sont biaisées, tronquées, manipulées par des classes qui orientent la Loi. En outre, la démocratie ne se réduit pas à la démocratie représentative et aux élections ; être élu ne signifie pas décider de tout pendant cinq ans. La démocratie est une interaction entre le peuple et les représentants.

 

Jacques Muller : les groupes de pression pèsent lourd, comme par exemple pour les OGM.

 

William Bourdon : en tant que faiseur de lois, avez-vous besoin d’être aidé par celui qui la transgresse ?

 

Jacques Muller : c’est une évidence ! J’ai été témoin de reculades spectaculaires, de conservatisme intellectuel. Au nom de l’argent, on pourrait tout faire ... Les faiseurs de lois ne protègent plus.

 

Par manque de temps, le réquisitoire et la plaidoirie sont renvoyés au 19 mars, 9h.

 

Gachet, HNS-info

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